Table des matières
Polygones réguliers
Un polygone (du plan) est dit régulier si tous ses côtés ont la même longueur et tous ses angles ont la même valeur. Par exemple, un triangle équilatéral est régulier mais pas un triangle rectangle, et un carré est régulier contrairement à un rectangle ou un losange.
Les polygones réguliers vérifient des propriétés de symétrie qui les rendent « jolis », par exemple ils peuvent être inscrits dans un cercle, et en tournant le polygone de degré (où est le nombre de côtés) on retombe sur la même figure. Autre propriété intéressante : ils sont leur propre dual, c'est à dire que si on inverse les arêtes et les sommets alors on retombe sur la même figure :
Les exemples donnés précédemment sont tous convexes, c'est à dire vérifiant que si et sont deux points du polygone alors le segment est inclus dans le polygone, mais ce n'est pas forcément le cas. Les polygones non-convexes sont appelés « étoilés » vu leur forme, par exemple le pentagramme est la version étoilée du pentagone.
En dehors du triangle équilatéral et du carré, un polygone est nommé selon un préfixe grec donnant son nombre de côtés (penta, hexa, hepta…) et une terminaison en -gone s'il est convexe et -gramme s'il est étoilé. Ce nom caractérise bien les convexes car il n'existe qu'un seul polygone régulier convexe de côté donné, mais pas les étoilés : il peut y avoir différents polygones réguliers étoilés ayant le même nom. Par exemple, voici l'heptagone (en rouge) et les deux heptagrammes (en bleu et en vert) :
Quittons à présent le plan et passons à l'espace…
Polyèdres réguliers
Un polyèdre (de l'espace) est dit régulier si ses faces sont régulières (des polygones réguliers) et uniformes (toutes les mêmes) et si ses sommets sont uniformes (ont le même nombre d'arêtes selon les mêmes angles). Alors qu'il existe une infinité de polygones réguliers convexes (un par nombre de côtés), il n'existe que cinq polyèdres réguliers convexes : ce sont les solides de Platon.
Les rôlistes parmi vous auront reconnu les dés classiques1) à , , , et faces. La preuve qu'il n'y a pas d'autre polyèdre régulier convexe est plutôt simple, et je trouve que Mickaël Launay de Micmaths l'a montrée de façon assez pédagogique et visuelle dans cette vidéo, donc je vous conseille d'y jeter un œil2).
La notion de dualité s'applique également aux polyèdres, en échangeant les faces avec les sommets. Prenons l'exemple du cube : chaque face est reliée à quatre autres faces, donc dans le dual du cube chaque sommet sera relié à quatre sommets, et comme chaque sommet du cube est relié à trois sommets, les faces du dual seront des triangles. Et effectivement, le dual du cube (6 faces, 8 sommets) est l'octaèdre (8 faces, 6 sommets). De la même façon, le dual du dodécaèdre (12 faces, 20 sommets) est l'icosaèdre (20 faces, 12 sommets) , et le tétraèdre (4 faces, 4 sommets) est son propre dual.
Aux cinq solides de Platon il faut ajouter les solides de Kepler-Poinsot qui sont les polyèdres étoilés réguliers. Il y en a quatre :
Notez que le petit dodécaèdre étoilé (12 faces et 12 sommets) est le dual du grand dodécaèdre, alors que le grand dodécaèdre étoilé (12 faces et 20sommets) est le dual du grand icosaèdre (20 faces et 12 sommets). Mais bon, difficile de construire de tels solides et a fortiori d'en faire des dés, donc par la suite nous nous intéresserons seulement aux polyèdres convexes.
Les polyèdres quasi-réguliers
En éliminant les polyèdres étoilés, nous n'aurions donc que cinq dés possibles qui soient jolis ? Si par « joli » nous voulons dire qu'ils doivent être uniformes pour leurs faces et leurs sommets, c'est à dire que toutes les faces doivent être le même polygone et que de chaque sommet partent le même nombre d'arêtes selon les mêmes angles, alors effectivement seuls les solides de Platon correspondent à ces critères. Mais il est possible de trouver d'autres polyèdres avec des propriétés intéressantes…
Par exemple, les solides d'Archimède ont des sommets uniformes mais pas des faces uniformes. Il existe treize (quinze si on distingue un solide de son reflet dans le miroir) solides d'Archimède, mais il n'y en a que deux qui ont des arêtes uniformes (de la même longueur et reliant des sommets deux à deux uniformes) : le cuboctaèdre et l'icosidodécaèdre (cliquez pour les voir tourner).
En prenant les duaux des solides d'Archimède nous obtenons les solides de Catalan. Comme la dualité inverse les faces et les sommets, nous avons que les faces sont uniformes mais pas les sommets. Par contre, cela a déformé les faces, qui ne sont malheureusement plus des polygones réguliers. Comme la dualité préserve la réflexion, nous avons encore treize solides, et quinze en distinguant un solide de son reflet. Là encore, il n'y a que deux solides qui ont des arêtes uniformes : le dodécaèdre rhombique et le triacontaèdre rhombique3).
Et arrivé à ce stade, il est satisfaisant de constater que le cuboctaèdre (14 faces et 12 sommets) est le dual du dodécaèdre rhombique (12 faces et 14 sommets), et que l'icosidodécaèdre (32 faces et 30 sommets) est le dual du triacontaèdre rhombique (30 faces et 32 sommets). En fait, il n'existe que neuf polyèdres convexes à arêtes uniformes : les cinq solides de Platon, et nos quatre nouveaux amis. Donc aux cinq dés classiques à , , , et faces, je voudrais rajouter quatre autres dés « jolis » : un nouveau dé à faces, un dé à faces, un dé à faces et un dé à faces.
Ces nouveaux dés sont jolis dans leur apparence et mathématiquement parlant, mais en terme de game-design il faut cependant avouer que ce n'est pas folichon. En effet, nous avons déjà un dé à 12 face, un dé à 14 faces peut avoir un (faible) intérêt, un dé à 30 ou 32 faces peut être intéressant, mais par contre la différence entre un dé à 30 faces et un dé à 32 faces n'est pas très flagrante.
Cependant il y a pire : généralement on s'attend à ce que les dés utilisés dans les jeux soient équilibrés4), mais malheureusement ce n'est pas le cas ici…
Dés équilibrés
Un dé est dit équilibré si toutes les faces ont le même pourcentage de sortie. Mathématiquement, cela revient à exiger que toutes les faces soient les mêmes, ce qui exclut de fait les solides d'Archimède, et en particulier le cuboctaèdre et l'icosidodécaèdre. En revanche, cela inclut tous les solides de Platon et de Catalan (notamment le le dodécaèdre rhombique et le triacontaèdre rhombique), mais aussi :
- Les bipyramides consistant à coller deux pyramides identiques par leur base. On choisit généralement la base avec un nombre pair de côté de façon à ce que deux faces opposés soient en vis-à-vis, donc on obtient des dés avec un nombre de faces divisible par , par exemple pour un dé à faces.
- Les antidiamants (comme le dé à faces par exemple, oui j'ai été un peu trop méchant avec lui…), qui permettent de construire n'importe quel dé équilibré avec un nombre pair () de faces, notamment les dés à et faces.
- les disphénoïdes, qui est une famille infinie de dés à faces.
Pour être complet, sans énumérer tous les solides de Catalan, ils ont peu de nombre de faces possibles : , , , , et . Les dés avec trop de faces ont tendance à trop rouler, donc remarquons surtout ici les quatre dés possibles à faces et surtout le hexakioctaèdre à faces (cliquez ici pour le voir tourner) :
Comme un dé est équilibré s'il a des faces uniformes, pour que son dual soit aussi un dé équilibré il faut donc qu'il soit aussi de sommets uniformes, donc il doit être un solide de Platon. Donc si on cherche des dés équilibrés qui ne soient pas des solides de Platon, il faut abandonner l'idée que le dual soit équilibré aussi. Par exemple inclure le dodécaèdre rhombique et le triacontaèdre rhombique mais pas le cuboctaèdre ou l'icosidodécaèdre.
Pour que les faces soient uniformes il faut malheureusement que le nombre de faces soit pair. Toutefois, historiquement nous avons contourné ce problème avec les « longs dés » c'est à dire tout simplement des prismes avec une base ayant un nombre impair de côtés et assez long pour que le résultat ne tombe jamais sur la base (quitte à arrondir la base histoire d'être sûr). Mathématiquement c'est bien sûr de la triche, mais bon, ça peut servir. ^^
Notes et bibliographie
Le sujet des dés équilibrés est traité dans cette vidéo de Numberphile, notamment en citant un papier5) prouvant qu'il n'y a pas d'autre dé équilibré que ceux indiqués. Dans la vidéo bonus Persi Diaconis discute également des conditions initiales ou des dés longs.
Bonus : pavage de l'espace
Il est possible de remplir tout l'espace sans laisser de trou en empilant des cubes : c'est ce qu'on appelle un pavage de l'espace6). D'après cet article, le mathématicien Russe Fedorov aurait montré qu'il n'existerait que cinq polyèdres réguliers ou semi-réguliers (ne pas confondre avec quasi-réguliers) capables de paver l'espace : le cube, le prisme hexagonal, l'octaèdre tronqué, le dodécaèdre allongé, et notre ami le dodécaèdre rhombique :
Du coup, il n'y a que deux pavages de l'espace qui soient uniformes pour les sommets (voir cet article) : celui par les cubes et celui par les dodécaèdres rhombiques. D'ailleurs, ces deux pavages sont duaux. Le cube pave l'espace car il est une projection par face de l'hypercube et le dodécaèdre rhombique pave le plan car il est une projection par sommet de l'hypercube, de la même façon que le carré pave le plan car il est une projection par face du cube et que l'hexagone pave le plan car il est une projection par sommet du cube.
Ainsi, notre nouveau dé à faces est plus amusant pour l'empilage de dés… Pour finir, notez que de façon intéressante, la version étoilée du dodécaèdre rhombique est également un pavage de l'espace :