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Cet article est un guide pour le jeu Cities: Skylines teinté de réflexions sur l'urbanisme. En effet, vu que ce jeu est à l'heure actuelle1) considéré comme plus complet et réaliste que le SimCity de Maxis, son intérêt ne réside pas seulement dans l'exploitation de ses mécaniques de jeu mais aussi dans sa capacité à pouvoir simuler des comportements étudiés par l'urbanisme dans le monde physique.
Ce guide est très largement inspiré des guides How To Traffic, v2 de drushkey, Traffic Planning Guide for Realistic Cities de Tulip In the Eye (traduit par Dimethylmercury_), et de The Beginner's Guide to Traffic de brendan.rnp. Le premier est écrit par un professionnel, le second par un étudiant en urbanisme, et le troisième par un joueur pour le moins assidu… la compétence et la passion de cette communauté m'impressionnent vraiment.
Note : ce guide date d'avant Mass Transit, donc certaines infos pourraient ne pas être à jour.
Pour bien commencer
Soyons clair, il n'y a pas de solution parfaite pour faire une ville. D'une part parce que le jeu ne propose pas de condition de victoire, en dehors de débloquer des paliers au fur et à mesure de l'évolution de sa ville. D'autre part parce que tenir compte de tous les facteurs pertinents, même s'ils sont simplifiés dans un système de jeu, s'avère une tâche trop fastidieuse pour être praticable. Mais surtout, dans le jeu et à plus forte raison dans le monde physique, l'arbitrage entre ces paramètres s'avère être davantage une question de style qu'une solution unique bien déterminée.
Ainsi, les conseils de ce guide ne sont là que pour vous guider à faire une ville robuste ou à régler des problèmes dans votre ville, et rien de plus. C'est pour cela que je resterai assez général. Plus encore, j'évoquerai également mes choix de style en m'inspirant de notre monde et de mon goût personnel. Embarquons donc dans la construction de Technotopia, la ville nouvelle à la planification efficace mais humaine !
Note : Le jeu n'est pas très difficile, mais si vous vous sentez bridés dans votre exploration vous pouvez utiliser le mod “Unlimited Money”, qui vous donnera une réserve illimitée de crédits (ce qui ne vous empêchera de constater si votre budget est positif ou non). Pour construire plus précisément, je vous suggère également le mod Precision Engineering, qui vous indiquera les angles et les longueurs de vos routes et tuyaux. Si jamais vous voyez vraiment grand, vous serez peut-être intéressé par le mod All 25 Areas purchasable. Enfin, si comme moi vous ne supportez pas Chirper, il y a des mods comme Chirpy Exterminator qui permettent de ne plus être dérangés.
La connexion extérieure
Il n'est pas nécessaire que votre ville ait une connexion extérieure pour exister. Dans le jeu, les gens apparaissent dès que des maisons sont construites, et les biens peuvent être à la fois produits et consommés localement. Toutefois, les touristes et les biens importés ou exportés nécessitent une connexion avec le reste du monde, et il est donc pratique pour l'avenir de construire sa ville à partir d'un des échangeurs autoroutiers proposés par la carte.
Un échangeur autoroutier est un système de bretelles routières permettant de basculer d'une autoroute à une autre, ou d'une autoroute à un système routier local. Vous ne pourrez construire des autoroutes et des bretelles que quand votre ville atteindra 2400 habitants, donc en début de partie vous devrez prolonger à partir de l'échangeur en utilisant des voies à sens unique, et les améliorer en autoroutes/bretelles par la suite.
Nous y reviendrons dans la prochaine sous-section, mais pour l'instant disons juste que le but des autoroutes est de permettre au trafic d'aller vite entre des destinations éloignées les unes des autres, et en étant perturbé le moins possible par des changements de direction. Ainsi, des échangeurs autoroutiers doivent être les plus éloignés possibles les uns des autres. brendan.rnp va jusqu'à conseiller une distance de 60 cases2) entre l'échangeur de la carte et votre premier échangeur. Notez en passant qu'il est pratique de faire monter l'autoroute d'un niveau afin de faire passer de grand axes par dessous :
Ces deux échangeurs sont en forme de diamant. Ils ne sont pas très efficaces (nous y reviendrons) mais sont parmi les plus simples à comprendre, donc ils suffiront pour le moment. Je vous conseille cette vidéo pour comprendre comment les autoroutes ont définies la vie américaine à partir des années 30.
La hiérarchie routière
Pourquoi se soucier du trafic, puisqu'après tout il suffirait que tout soit connecté, non ? Parce qu'en un sens, un bouchon est une rupture dans cette connexion, et donc il faut empêcher les embouteillages de se former. Sinon, on se retrouve vite avec des problèmes, même quand la ville est encore peu étendue :
Afin d'optimiser le trafic routier, les routes sont hiérarchisées selon leurs fonctions et capacités :
- Une autoroute (musique !) est une voie à chaussées séparées, réservée à la circulation très rapide des véhicules motorisés, ne comportant aucun croisement à niveau, et accessible exclusivement par des échangeurs.
- Une artère (en jeu : une six-voies) est une voie en milieu urbain de bonne capacité, généralement réservée à la circulation rapide des véhicules motorisés, et comportant des croisements (avec des bretelles d'échangeurs ou des avenues). Elles peuvent être disposées en cercles concentriques (ceintures périphériques conçues pour éviter le centre-ville) ou en grille (boulevards).
- Une avenue (en jeu : une quatre-voies) est une grande voie urbaine ou une plus petite plantée d’arbres, qui collecte le trafic des rues locales afin de le distribuer dans les artères.
- Une rue (en jeu : une double voie) est une voie sans contre-allée de faible largeur qui dessert des logements et autres structures fonctionnelles. C'est aussi un espace public, lieu de rencontres et d'échange (notamment par les commerces) voire de manifestation. Une rue étroite est appelée ruelle, et une rue ne possédant qu'un point d'entrée est une impasse ou un cul-de-sac3).
Ainsi, selon ce modèle, une voie ne devrait avoir un croisement qu'avec une voie de niveau supérieur ou inférieur. Pour les échanges entre voies de même niveau, comme nous l'avons aperçu et que nous examinerons plus en détail par la suite, deux autoroutes peuvent communiquer via un échangeur. Pour éliminer les feux, il est généralement admis que les autres voies devraient communiquer avec une ou plusieurs voies de niveau égal par un carrefour giratoire (ne pas confondre avec un rond-point), c'est à dire une voie circulaire à sens unique de même niveau. Dans un système de circulation à droite, pour faciliter le trafic, le giratoire doit être orienté dans le sens inverse des aiguilles d'une montre. Cependant, dans son guide Tulip In the Eye critique l'usage du rond-point quand le trafic devient trop important et précise que pour éviter la congestion un retour à l'intersection à feu peut être souhaitable. Ceci étant dit, il peut y avoir des usages inattendus pour les giratoires, notamment s'ils sont incorporés dans un échangeur comme dans ce magnifique exemple.
Voilà un exemple respectant la hiérarchie routière : des rues locales connectées à des avenues, qui canalisent le trafic vers les deux boulevards horizontaux connectés à l'autoroute verticale.
Le zonage (1/2)
Le zonage consiste en la division du territoire municipal en zones selon l'usage (résidentiel, commercial ou industriel), afin de prévenir les nouveaux développements qui pourraient nuire aux résidents ou aux commerces existants. Par exemple, installer une usine en pleine zone résidentielle provoquerait du bruit, de la pollution et les va-et-vient de camions, donc il va mieux regrouper les industries en dehors des zones habitées.
Une des premières utilisations historiques du zonage a été d'empêcher l'établissement à New York d'un nouveau building qui plongeait dans l'ombre les résidences alentours. Notez que le zonage n'est qu'une des techniques possibles de l'aménagement du territoire et ne remplace pas l'établissement d'un plan directeur. Enfin, en éloignant les lieux de résidence et d'emploi, cette technique a tendance à favoriser l'usage de la voiture, alors que le développement de quartiers plus denses et à usages mixtes favoriseraient la marche et le cyclisme pour se rendre au travail et aux courses.
Revenons au jeu. En début de partie il est possible d'établir des zones résidentielles de faible densité, des zones commerciales de faible densité et des zones industrielles4). Les barres en bas indiquent la demande de la ville en logements, commerces et emplois, ce qui permet de savoir quand créer de nouvelles zones. Notez qu'il vaut mieux zoner petit à petit en satisfaisant un maximum la demande en logements pour lutter contre les vagues de mortalité, mais aussi ne jamais complètement satisfaire les demandes en commerces et emplois (dit autrement, maintenir volontairement un léger taux de chômage) pour éviter les bâtiments abandonnés, comme cela est suggéré dans le guide Preventing "Not enough workers" and minimizing Death Waves.
Le but du zonage, aussi bien dans le monde physique que dans le jeu, est d'optimiser deux concepts clés : le trafic et la valeur du terrain. Nous parlerons bientôt de la valeur du terrain, et de son lien avec les autres concepts du jeu. Pour l'instant nous allons continuer de traiter du trafic en faisant une première esquisse du transport des personnes et des biens.
Le transport des personnes
Les personnes, appelées les cims dans le jeu, ont des destinations assez simples et cherchent à minimiser leur temps de déplacement entre ces destinations, sans tenir compte des autres usagers. Dit autrement, ils supposent la route vide, donc si avez mal planifié votre réseau routier et que trop d'usagers traversent la même route vous aurez un embouteillage. Ces cims peuvent être des touristes venant du monde extérieur et souhaitant visiter des points d'intérêt comme les monuments ou les universités. Mais le plus gros du transport viendra des habitants de votre ville, qui en dehors des loisirs (dont nous parlerons plus tard5)) suivent un quotidien métro, boulot, dodo. Ainsi, ils quittent leur résidence le matin, vont à leur travail (école, usine, boutique ou bureau) puis le soir font des courses avant de rentrer chez eux.
Ainsi, vu le nombre important de destinations possibles pour le travail, il est intéressant que les zones commerciales soient proches des zones résidentielles afin que les cims aient le minimum de trajet à effectuer le soir entre leur sortie du travail et leur retour à la maison.
Le transport des biens
Nous parlerons plus en détail de la chaîne logistique lorsque nous aborderons la spécialisation industrielle. Pour l'instant nous nous contenterons d'esquisser que les biens sont transportés par camions, qui sont encombrants et bruyants donc doivent si possible circuler sur des voies dédiées loin des habitations.
Un bien est produit par une zone industrielle générique en consommant des ressources. Les biens sont ensuite acheminés vers les zones commerciales où ils seront achetés par les cims. Les ressources (si elles ne sont pas produites par la ville) seront importées, et si davantage de biens sont produits que consommés l'excédent sera exporté. C'est la raison pour laquelle la zone industrielle a besoin d'une connexion avec l'extérieur (en l'occurrence, ici, notre premier échangeur). Si les biens sont davantage consommés que produits, dans ce cas les zones commerciales importeront le nécessaire, raison pour laquelle la zone résidentielle/commerciale a besoin d'une connexion avec l'extérieur (en l'occurrence, ici, notre deuxième échangeur).
Afin de ne pas ralentir le trafic par du chargement/déchargement de marchandises, en dehors de certains services comme la police ou les pompiers, les boulevards n'auront que des chemins pédestres (afin d'empêcher le zonage). Afin d'éviter que les camions entrent dans les zones résidentielles, les zones commerciales ne seront placées que sur les avenues, et des chemins pédestres permettront aux cims d'aller directement des magasins à leurs maisons. Les zones résidentielles seront donc des espaces internes délimités par des rues et comprenant quelques services (comme les écoles) et loisirs (comme les parcs).
Au final, je recommande donc une organisation où les zones industrielles sont excentrées, et où les zones commerciales font l'interface entre les avenues (quatre-voies) et les zones résidentielles. Notez également que les boulevards ne servent qu'à la circulation, et d'ailleurs j'ai tendance à placer des pistes cyclables ou des chemins pédestres de chaque côté pour éviter le zonage à leur contact et donc les ralentissements.
Remarquez toutefois les défauts d'avoir cherché à planifier la ville (notamment le tracé des routes) à l'avance au lieu de laisser croître la ville au fur et à mesure :
- Les zones prévues sont complètement disproportionnées, notamment il aurait fallu que les zones industrielles prennent moins de blocs (d'où les zones laissées vides faute de demande), et que les zones résidentielles soient plus vastes (en augmentant la taille des blocs). Créer les blocs au fur et à mesure permet de mieux ajuster l'offre et la demande.
- Le tracé des routes ne tenait compte que des zones et non des bâtiments publics. Ainsi, il s'est avéré très difficile de caser des infrastructures (parcs, écoles, police, pompiers, déchets, cimetière, etc.). Il vaut mieux placer de tels bâtiments au début du tracé du quartier, et seulement ensuite terminer le quartier autour d'eux, ce qui permet en plus de les mettre en valeur.
Style : le quadrant résidentiel
Avant de continuer, je tenais à discuter du style que j'utilise pour mes quartiers résidentiels, inspiré de cet article et de cette vidéo où est discutée la notion de superbloc pédestre. L'idée est de conserver un système de grille à grande échelle pour faciliter le trafic routier et l'orientation, mais de créer des espaces plus pédestres à petite échelle, comme à Troieschyna en Ukraine :
Cela passe notamment par la division du quartier résidentiel en plus petits espaces, essentiellement des boucles et des cul-de-sac qui permettent de créer un sentiment de communauté. Cela permet également d'empêcher de fait les voitures ou camions de traverser le quadrant résidentiel, ce qui limite le trafic et dans le monde physique augmente la sécurité (notamment pour les enfants près des écoles).
De plus, chaque point local (comme un parc, une école ou un commerce) du quartier résidentiel doit être accessible à moins de cinq minutes à pied, ce qui passe par l'utilisation massive de chemins pédestres, que j'utilise pour séparer le bloc des commerces avec le bloc des habitations, pour entourer les parcs et les écoles (ce qui les met visuellement en valeur), et pour relier les différentes parties du quartiers résidentiels.
Utiliser autant les chemins pédestres permet de réduire l'usage de la voiture et de rendre plus vivant le quartier. De plus, les formes du quartier peuvent être conçues autour du placement des parcs et des écoles, ce qui permet une variété locale bien que la structure globale soit par bloc, ce qui rend la ville moins artificielle.
J'ai plutôt un bon ratio de zones résidentielles et de zones commerciales en utilisant des blocs de 72 cases de côté, ce qui permet sur les avenues de faire une intersection toutes les 24 cases (oui, j'aime les multiples de 12). J'ai une demande un peu plus grande pour les commerces que les résidences, ce qui tendrait à faire baisser le côté des blocs (à 60 par exemple), mais c'est peut-être juste parce que dans cette exemple j'ai commis l'erreur de placer les services publics globaux (hôpital, police, pompiers) sur les avenues (ce qui a réduit le zonage commercial) et non sur les boulevards (où de fait ils auraient un peu réduit le zonage résidentiel interne).
Malheureusement, dans le jeu l'accessibilité aux bâtiments publics est calculé uniquement par la route et non les chemins pédestres. La fragmentation du quadrant résidentiel en petits espaces ne pose vraiment problème que pour les écoles primaires (et les parcs, dans une moindre mesure), puisque chaque fragment nécessite sa propre école, ce qui augmente artificiellement les coûts et crée des situations peu réalistes.
Ainsi, il est nécessaire de ne pas fragmenter le quadrant résidentiel en jeu. Je recommande à la place de faire des routes sinueuses pour éviter qu'un plus court chemin n'incite des véhicules non résidentiels à traverser le quadrant. De plus, il est possible d'interdire la traversée de la zone résidentielle aux camions, qui suivront l'interdiction sans poser de questions (cette fois, un avantage sur le monde physique). Enfin, notez que créer une boucle interne à tout le quadrant résidentiel n'est pas forcément un mauvaise chose puisqu'elle facilitera la mise en place de lignes locales de bus (nous y reviendrons).
Pour bien continuer
La hiérarchie routière et le zonage ont permis de régler une partie des problèmes rencontrés, et notre ville a pu passer de presque 4000 cims (Boom Town) à plus de 17000 (Big City). Malheureusement, les problèmes de trafic ne sont pas terminés.
Tout d'abord la ville ne possède qu'une seule connexion à l'extérieur, ce qui concentre à un seul accès les camions important des matières premières pour nos zones industrielles, et les touristes souhaitant visiter notre ville (notamment l'université).
De plus, le trafic est concentré sur le boulevard principal, et regroupe les camions amenant les marchandises à nos zones commerciales, les touristes, et quelques bus faisant la navette entre l'université et les zones résidentielles.
Deux leçons importantes sont à retenir :
- Ne pas mélanger des sources de trafic différentes.
- Utiliser les transports en commun.
(suite au prochain épisode)
Teaser : Les échangeurs
Décrire les avantages du DCMI, notamment en terme d'entrelacement. Voilà un exemple d'implémentation compacte en jeu.
PS : Une vidéo sur l'échangeur “Diverging Diamonds”.